Aussi étrange que cela puisse paraître...
J'ai écrit ce texte le 9 octobre dernier, le lendemain du transfert de 2 embryons. C'était aussi l'anniversaire de mon amour et ce texte, je lui ai offert comme cadeau d'anniversaire. Il m'a autorisée à le publier ici, merci mon amour !
Aussi étrange que cela puisse paraître, ta vie a commencé loin de moi. Oh pas une distance énorme, quelques mètres et plusieurs volées de marches, mais quand même loin de moi car normalement, ça se passe au chaud tout ça, à l’intérieur de soi, tout tendrement et douillettement. Mais là, non c’était différent – il faut dire que ton père et moi ne faisons jamais rien comme tout le monde -, il a fallu sortir des draps tièdes et s’arracher à la caresse de l’autre. Mais ce n’est pas grave, tu sais, ce qui compte, c’est que tu sois là bien vivant, peu importe la manière dont cela arrive finalement.
Alors tu as commencé à vivre, à te multiplier, quelques étages au-dessus de nous. On se serrait fort la main en espérant que ça marche, on avait les yeux embués de larmes, le corps vidé de fatigue, mais la tête pleine de rêves de toi.
On n’a pas su tout de suite que tu existais. Il a fallu rentrer chez nous avec cet incommensurable espoir et attendre, encore attendre. Qui a dit déjà que la vie est faite d’attentes ? En tout cas, je comprends bien ce qu’il voulait dire maintenant, c’est évident. Bref, on est rentrés à la maison tous les deux, un peu penauds, un peu perdus. On ne savait pas bien si on pouvait recommencer à parler de prénoms, de la joie d’être trois, de comment tu serais, de ce qu’on ferait pour toi, pour te rendre heureux et fort. On naviguait entre deux eaux, on essayait de penser à autre chose mais c’était juste impossible de ne pas penser à toi.
Le lendemain, de bonne heure, j’ai reçu un message. Tu existais. Ou plutôt vous existiez. Vous étiez six. Comment vous imaginer alors que vous étiez si minuscules, invisibles à l’œil nu, à peine des grains de poussière dans ce monde immense ? Mais notre cœur n’a pas hésité une seconde et s’est mis à battre très fort, comme s’il allait exploser de joie dans notre poitrine.
Quelques heures plus tard, nous étions de retour à la clinique. Tout le monde était si gentil, comme si nous étions malades. Mais nous ne sommes pas malades, juste vides de toi, affamés de toi. Le médecin était là. C’est une femme, tu sais, avec un bel accent latin. J’ai toujours aimé les accents, je trouve que cela rend la vie plus chantante, les gens plus attachants. Elle m’a rassurée, m’a dit que vous alliez bien. Puis on m’a endormie, toujours avec une infinie gentillesse, avec des mots ouatés, tendres et une voix enveloppante. Une anesthésie générale, c’est comme si on se retirait du monde tu sais. Un moment on est là, à un endroit précis, avec des gens habillés d’une certaine façon, puis on se réveille, ailleurs avec d’autres personnes, d’autres bruits. A l’instant où j’ai ouvert les yeux, j’ai su que tu étais là, aux tréfonds de mon corps et de mon âme. J’ai mis la main sur mon ventre et instantanément, la peur m’a envahie. Comment faire pour que tu restes, pour que tu t’accroches à moi ? J’avais peur de me lever, presque de respirer. Comment vivre sachant que tu étais là et que je ne pouvais rien faire pour te convaincre de ne pas nous laisser ?
C’était hier et la peur ne me quitte plus. Je suis si déroutée de ne pouvoir t’aider, si triste d’imaginer que tu puisses déjà ne plus être là. Aujourd’hui, au réveil, j’ai cru que je t’avais perdu. C’était une sensation terrible, inconnue, un sentiment d’impuissance et de désespoir infini. J’étais si triste que j’en ai oublié l’anniversaire de ton père ! Il a 33 ans aujourd’hui. C’est un homme magnifique à tous points de vue tu sais. Dès le premier jour de notre rencontre, j’ai aimé son regard bleu doux et profond. Je me suis tout de suite sentie en sécurité avec lui. Il m’a offert tout ce que je recherchais : de l’amour, du respect et beaucoup de sérénité. Je suis sûre qu’il te plaira, c’est sûr qu’il fera tout pour qu’on soit bien toi et moi. Plus le temps passe et plus je sais que j’ai fait le bon choix, c’était l’homme qu’il me fallait et c’est le père qu’il te faut. Je vous aime tous les deux, infiniment.